Beaucoup de bruit pour rien – Critique de Free Fire

Paradoxe : plus le réalisateur Ben Wheatley s’attaque à un sujet simple, plus il montre ses limites.

Je l’ai attendu ce film, rien que l’affiche promettait du bon, j’en avais pas vu de pareille depuis celle de Mi$e à Prix. C’était il y a dix ans, ça sortait aussi en période estivale, et c’était aussi un film-concept : planqué en haut d’un hôtel de Vegas, un témoin clé se faisait courser à la fois par des chasseurs de primes concurrents et par le FBI venu le protéger. Comme Free Fire, distribution improbable mais réjouissante (Ben Affleck, Alicia Keyes, Ryan Reynolds, Jeremy Piven…). Et contrairement à Free Fire, il y avait un mec à la barre qui magnifiait son pitch.

Quand tu vas au restau, tu vois si y a du niveau lorsque la cuisine t’éblouit avec les plats les plus simples – genre une pizza, napolitaine si possible. La ramener avec un mets à 40 balles, c’est en fait plus facile, archi préparé car en tête de gondole. Si avec un truc plus populaire et passe-partout la cuisine se met quand même en quatre, que la pâte est nickel, la base tomate savoureuse et, surtout, que les anchois sont pas salés à mort mais de petites merveilles d’équilibre gustatif, tu sais que l’enseigne respecte le client.

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Ici, Ben Wheatley n’est pas en train d’adapter du J. G. Ballard comme avec son précédent film, High Rise, ni de broder une ambiance malsaine comme avec le terrible Kill List. Free Fire, c’était pas compliqué, truands vs. truands dans un hangar, point. T’as quartier libre, à toi d’être inventif pour exploiter ce concept. On sait que tout ça n’est pas sérieux, et comme un fait exprès, c’est sans doute pour ça que le film n’est pas fait sérieusement. Vu qu’il n’y a ni intrigue anxiogène ni univers chelou à se mettre sous la dent cette fois, Wheatley se retrouve à poil.

Et bon sang que ça fait mal de voir un casting aussi cool se démener avec des personnages à peine écrits, des scènes entières où ils balancent des répliques au petit bonheur la chance à plusieurs mètres de distance (reconnaissons-le, certaines sont drôles) et, surtout, un manque flagrant de construction scénique. Si Free Fire se laisse regarder, à aucun moment il ne provoque le petit frisson propre aux séries B à la fois fun et bien fichues. On se retrouve plutôt à voir des comédiens ramper dans de la poussière et des cailloux pendant 90 minutes !

Pourquoi après tout, et le film donne au départ l’impression de jouer la carte du body count – en gros, qui va finir par caner à force de se prendre une bastos, puis deux, trois etc. La piste est un peu explorée mais demeure lettre morte. Le décor lui-même n’est pas exploité de façon stimulante, et quand Wheatley se décide enfin à redistribuer un peu les cartes, on est déjà assommé par son montage approximatif et ses effets de styles qui tournent en rond. Niveau gunfight, c’est maigre aussi, Free Fire empilant les plans au lieu de les choisir pour faire naître un crescendo.

Dénué de personnages marquants autant que de suspense, Free Fire est un pétard mouillé regardable grâce aux efforts de ses comédiens, plus quelques pointes d’ultra violence qui, elles aussi, arrivent trop tard pour faire illusion. Si vous n’avez jamais vu un gunfight à huis clos de votre vie, vous pouvez tenter le coup, mais pour peu que vous soyez déjà tombés sur Time and Tide ou que vous ayez joué à la trilogie Max Payne, y a e fortes chances pour que ce divertissement ne sonne pas creux à vos oreilles.

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Ci-dessus : Alicia Keyes dans Mi$e à prix (Joe Carnahan – 2007)

Ici, **Mi$e à Prix** s’était vu exclu des salles art & essai et n’avait eu droit qu’au multiplexe, le temps de deux semaines en VO. Inversement, Free Fire n’est nulle part chez les grosses salles et se trouve cantonné à une salle art & essai. Le statut d’auteur de Ben Wheatley n’y est pas pour rien, et tirer sur l’ambulance ne servant pas à grand chose dans le cas d’une sortie ciné aussi confidentielle, je vous conseille plutôt de laisser sa chance au Mi$e à prix de Joe Carnahan, vraie très bonne surprise passée inaperçue et qui, même si on n’y adhère pas, propose bien plus de cinoche que ce tour de manège vain qu’est Free Fire.

Probable que le dernier Wheatley sera hâtivement classé « hommage à Reservoir Dogs«  (son affiche française, avec ses cinq couleurs antagonistes, ne s’en cache pas), or on n’est plus proche d’un sous Guy Ritchie (lui-même un sous-Tarantino) au rythme aléatoire. Bref, un projet appétissant mais dépassionné. Quel dommage…

Guillaume Banniard

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