La Magicienne d’Oz : critique de Buffy contre les vampires

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Cela ne vous a peut-être pas échappé, le show créé par Joss Whedon fête ses vingt ans cette année. Que les exégètes ne nous en veulent pas, faire tenir ces 112 heures de programme en une simple critique est mission impossible. Certains personnages essentiels sont donc à peine évoqués (Spike, Anya, Oz, Angel…), voire aux abonnés absents (Cordelia, la plupart des méchants et surtout le fabuleux Giles). Qu’à cela ne tienne : l’avis qui suit est éminemment subjectif, assez en tous cas pour que l’auteur de ces lignes – qui a découvert la série fin 2016 après harcèlement de quelques fans bienveillantes – le rédige à la première personne. On est entre nous, et prière à quiconque n’aurait pas encore vu Buffy de quitter ces lieux, l’article abordant en long et en large les forces et faiblesses d’une série qui vaut infiniment mieux que sa réputation, et ne peut être jugée d’après quelques épisodes vus en désordre sur Chérie 25. Pour les autres, welcome back to the 90’s !

On ne va pas se mentir : Buffy reste dans l’inconscient collectif un vague délire estampillé série Z (1). On le pense avec ou sans mépris, mais j’étais le premier à reconnaître n’avoir aucun souvenir de ce TV show prisonnier des 90’s, en dehors de son générique punchy et de quelques bourre-pifs entre une lycéenne et des suceurs de sang. Revoir la série aujourd’hui est sans doute très confortable si on fait partie de sa discrète mais très solide communauté de fans. En revanche, quand on cède aux demandes desdit(e)s fans et qu’on se décide à la découvrir, en 2016-2017, on craint plutôt de se sentir exclu du délire…

Pas la peine de s’en cacher là non plus, Buffy reste de bout en bout une série adolescente, collection de fantasmes geek plus ou moins réfléchis où Joss Whedon essaye tout ce qu’il peut, passe du fantastique au drame intime entre deux virages vers la comédie pure, et où l’élément le plus propice à la moquerie est aussi celui qui s’assume au maximum : ici, n’importe quelle créature sait se battre ! Un vampire fraîchement sorti de sa tombe lève la jambe aussi bien que Jackie Chan, et les créatures les plus difformes semblent avoir fait deux décennies de kung-fu. Un vrai trip de petit garçon qui prend toutes ses figurines et peluches pour les lancer dans des bastons homériques au beau milieu du salon. Voilà ce dont il s’agit pendant sept saisons, ne pas s’arrêter aux présentations et rester jusqu’à la fin du repas, quitte à ce que l’indigestion nous saute au visage.

Voir à ce sujet les errances narratives (pour rester gentil) de la saison 3, à mes yeux la plus ratée. Partie sur d’excellentes bases (l’exil et l’indépendance de Buffy à L.A, la confrontation avec sa consoeur et nemesis Faith) , elle vire dans les quatre ou cinq derniers épisodes au foutage de gueule pur et simple. Le principal Snyder peut donc débarquer de nuit au lycée, accompagné de deux flics, surprendre le Scooby Gang face au maire et apercevoir des insectes surdimensionnés…sans que cela n’ait aucune conséquence sur son comportement dans les épisodes suivants ! Des détails ? Plutôt une façon très gonflante de mettre sous le tapis les enjeux dont on ne sait pas quoi faire, et le procédé m’a complètement sorti de l’histoire. Idem, une fois Faith à l’hôpital, riche idée que de placer son lit près de celui de son ennemie. Sauf que le maire, pris en flagrant délit d’agression lorsqu’il tente de tuer Buffy à mains nues, aurait au moins dû voir deux-trois flics sonner à sa porte…

Joss Whedon et ses scénaristes semblent nettement plus doués pour poser des enjeux que pour les résoudre, en tous cas quand ils bouclent leur saison à l’arrache complet. Toujours dans la troisième, je me revois pousser un gros soupir de déception face à la fameuse Ascension, en fait un gros serpent supposément invincible à moins d’être balancé dans un volcan…et ici vaincu avec quelques explosifs, tranquille. Plus ridicule encore, Whedon use d’un artifice plutôt cool mais qui ne trompe personne : quand la situation semble désespérée, Buffy a une idée géniale pour sauver la situation, idée dont le public n’a pas connaissance avant le climax – jusque dans la saison 7, les scénaristes nous refont le coup ! Mais comment gober, dans la 3ème, que les lycéens ont pu s’organiser et apprendre le maniement d’armes en une après-midi ?

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C’est dans ces moments que l’enthousiasme de Whedon se heurte de plein fouet aux réalités (budgétaires, narratives, esthétiques) du terrain. En bon gros fan de culture pop bien décidé à foutre en l’air tout le magasin pour attraper le jouet en haut de l’étagère, le bonhomme avance bille en tête et bazarde parfois sa mythologie comme on viderait son grenier. Si la saison 3 demeure une déception, elle fait jeu égal avec le traitement du personnage d’Andrew dans la 7ème : pièce rapportée du Scooby Gang dont Whedon et son acolyte Drew Goddard ne savent pas quoi faire, le « génie du mal » repenti passe son temps à débiter des répliques où s’entassent les clins d’oeil : Star Trek, Hellraiser, James Bond et on en passe… On dirait du Wes Craven dans ses mauvais jours, ceux où il confond dialogues et liste de courses au magasin DVD du coin.

Une complicité culturelle qui, en ce qui me concerne, tombe complètement à l’eau dans cette saison finale, comme si un mec en soirée me disait tous les quart d’heure « Hé ! Hé ! On aime les mêmes films, t’as vu ? ». Joss Whedon est bien meilleur quand il intègre les clins d’oeil au récit : le principal nommé Robin Wood, une Buffy invisible qui va truquer le dossier de Dawn aux services sociaux en imprimant à répétition la phrase « All work and no play makes Doris a dull girl » (référence directe au « All work and no play makes Jack a dull boy » tapé à l’infini par Nicholson dans Shining), et au détour de quelques plans de la saison 6, le t-shirt de Dawn qui affiche Foxy Brown en toutes lettres, chouette hommage à cette héroïne mythique de la Blaxploitation. Moins la série étale sa culture, mieux elle la digère, et plus elle permet de rencontrer ses personnages.

Si le passage aux services sociaux façon Shining est efficace grâce à sa fonction de gag, il faut se tourner vers l’époustouflante conclusion de la saison 4 pour voir de quoi Whedon est capable avec une référence connue. Après avoir invoqué l’esprit de la première Tueuse dans les sous-sols de l’Initiative, Buffy, Giles, Willow et Xander savourent un repos bien mérité…et s’endorment devant Apocalypse Now. Enchevêtrement jouissif de peurs enfouies, de running gags géniaux (l’homme au fromage !) et de décors évolutifs, l’épisode Restless montre les quatre personnages traqués par la Tueuse originelle pendant leur sommeil. Captivantes et bourrées de sens, ces quarante minutes réalisées par Whedon lui-même s’offrent un mini remake d’Apocalypse Now lorsque Xander fait la rencontre du colonel Kurtz, Marlon Brando ayant cédé la place au principal Snyder !

Reprenant l’éclairage spécifique et le décor assombri du chef-d’oeuvre de Coppola, le cinéaste les tourne en dérision tout en creusant la psyché du jeune homme. Un modèle d’efficacité et de drôlerie, l’épisode dans son ensemble alternant trouille primitive et fun décomplexé. Il faut dire que la saison 4 méritait une conclusion à la hauteur si l’on se souvient de l’épisode 10, le fameux Hush, merveille de terreur où les habitants de Sunnydale perdent la voix. Ses fans le reconnaissent volontiers, la série Buffy est régulièrement cheap, entre maquillages prosthétiques un peu grossiers, VFX qui scintillent et gros monstres aux mouvements limités. Avec ses créatures en lévitation au sourire carnassier qu’on croirait sorties de Dark City, son silence effrayant et son principe de mise en scène qui redistribue les cartes (impossible pour les héros de communiquer verbalement), Hush est un petit bijou d’inventivité.

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Inviter chacun à ne pas rester à la surface des choses, pas évident quand on résout la plupart de ses enjeux dramatiques via une énième baston – avec le recul, normal que Joss ait été choisi pour signer le sympathique Avengers ! Pourtant, et c’est là que le show prend toute sa saveur, Whedon trace sa route sans perdre de vue les enjeux humains qui nourrissent son microcosme. Alors certes, la série est tellement portée au pinacle par les féministes (il existe même d’élogieuses Buffy Studies !) qu’elle se voit collée une étiquette supplémentaire, celle du girl power à tout prix. Malgré son importance sociologique avérée (avait-on déjà vu romance lesbienne aussi bouleversante dans le fantastique grand public ?), le programme s’adresse à tout le monde mais prend le temps de donner la parole aux filles…et la leur laisse.

Une façade ? Plutôt une ligne de conduite. Si l’ami Joss affiche au premier abord un tempérament de gosse maladroit, il pose un regard profondément adulte et digne sur son casting. Alors qu’il a sous la main – soyons honnêtes – des comédiennes toutes plus canon les unes que les autres, pas la moindre séance en maillot de bain (allez, juste une brève scène de plage !) ou de plan-nichon toutes les vingt minutes. Filles de la vie de tous les jours habillées comme des filles de la vie de tous les jours, ni prêtes à entrer au couvent ni enclines à montrer leur cul à tout bout de champ, les femmes dans Buffy tombent rarement dans le cliché. Grace à un axe créatif qui passe d’habitude inaperçu sauf quand il se fait remarquer (les costumes), Whedon tient sa note d’intention. L’air de rien, cela compte parmi ces détails qui font toute la différence. Une attitude dont saura se souvenir la saga Hunger Games, dont les réalisateurs successifs évitent de sexualiser à outrance Jennifer Lawrence.

Ce sont d’ailleurs les mecs qui finissent le plus souvent topless dans Buffy, si on s’amuse à faire les comptes ! La posture pourrait être lourdingue si la série s’en tenait à une posture, justement. Or la démarche est intégrée à l’écriture et, on l’imagine, pensée en amont des premiers coups de stylo. Il n’y a qu’à voir le personnage de Faith, monstre de sexytude qui serait torride même en combinaison de ski, pour comprendre que Whedon et son équipe ont très bien calculé leur coup. En conséquence, si les protagonistes se révèlent des bêtes de sexe pour certain(e)s, cela découle de leurs envies personnelles, de leurs choix, de leurs fantasmes, bref de ce qui les constitue, pas d’une intrusion soudaine dans leur intimité. Un tremplin idéal pour tisser un lien durable avec le public, et on comprend la valeur qu’à pu prendre la série pour les jeunes filles des années 90.

Comprenons-nous bien, montrer du cul n’a en soi rien de condamnable, et des films féminins plus généreux dans ce domaine peuvent faire naître une émotion terrassante. Là où Buffy se distingue, c’est que ses auteurs n’ont pas oublié qu’ils filmaient des ados bientôt étudiantes. L’écriture allant au bout du parcours de ses personnages phares, la série évite à la fois la pudibonderie béate et l’étalage de chair mal placé. Et si Dieu le père est présent, c’est surtout par respect d’un certain folklore, celui où les crucifix sont tout autant efficaces que le soleil pour venir à bout des succubes. Reste que Buffy ne s’en sort jamais par une quelconque prière et jouit d’un constant pouvoir de décision, sans que les bonhommes n’en sortent inutilement rabaissés – voir le fascinant parcours de Spike, dont les actes ont un poids considérable sur la famille Summers.

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Tous les personnages centraux sont amenés, sept saisons durant, à composer avec leur vraie nature. Angel et Spike sont torturés par leurs âmes, Willow lutte contre ses pouvoirs et résiste à la magie noire comme une alcoolique devant sa bouteille de scotch, Buffy elle-même est amenée à tuer Faith après que cette dernière ait assassiné un être humain, Anya se découvre une seconde vie suite à la perte de ses pouvoirs de démon, Giles évoque le moins possible ses tragiques erreurs de jeunesse, Oz doit s’enfermer dans une cage à chaque pleine lune, et enfin, la petite Dawn (peut-être la plus meurtrie du lot) découvre que tout son passé familial est un mensonge, le rôle premier de la jeune fille étant d’être saignée par un dieu malfaisant – méchant(e) qui est aussi une réminiscence cruelle et sarcastique de Janus, la déité aux deux visages.

Dans un tel contexte, pas étonnant que la storyline la plus féconde concerne les personnage les plus puissants. Adolescente timide devenue sorcière redoutable, Willow se découvre un second premier amour en la personne de Tara, jusqu’ici la seule femme qui l’ait attirée. Une romance sublime et d’autant plus juste que Tara est la seule du groupe à ne pas lutter contre sa vraie nature, en tous cas plus après que le petit jeu pervers de sa famille ait été percé à jour. Bouleversant à plus d’un titre (dépourvu de musique, l’épisode relatant la mort de Joyce est inoubliable, et rattrape une scène d’enterrement expédiée par de vilains fondus enchaînés), le récit trouve clairement son point d’orgue avec la mort injuste de Tara et le désespoir furieux qui s’ensuit, Willow synthétisant en une poignée d’épisodes toute la portée émotionnelle de la série.

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L’ombre de leur love story tragique planera sur l’ensemble du show, particulièrement une saison 7 (à mon sens) inégale, car incapable d’égaler la fureur sentimentale du parcours de Willow. En plus d’exposer les faiblesses d’écriture évoquées plus haut avec le personnage d’Andrew, l’auteur y confond spin off et manquement narratif : pour qui n’a pas vu Angel, dur de se sentir concerné par un final où s’enchaînent les deus ex machina, entre Nathan Fillion qui brise le cou d’un personnage que l’on devine essentiel à la mythologie whedonnienne, David Boreanaz qui débarque comme une fleur, un pendentif sorti de nulle part puis, surtout, la présence de Spike dans le bâtiment où il observe le dernier baiser entre Buffy et Angel, tant on se demande par où il a a pu entrer dans la crypte. Des détails certes, mais des détails visibles et dommageables, tout comme ce final apocalyptique qui oscille entre un message bienvenu (aller de l’avant) et une narration expéditive (peu d’émotion devant la disparition d’une ville entière, et devant la tombe d’une mère à jamais engloutie).

Bourrée de petits défauts, la méthode Whedon marque assez de points pour procurer un plaisir constant. Et Buffy contre les vampires de former, bon gré mal gré, une longue métaphore de la condition humaine. On le comprend en grandissant, les meilleurs films sont souvent ceux qui savent causer de la vie avec un grand V, que ce soit au travers de super-héros, de travailleurs sociaux, de jouets qui parlent ou de gangsters pourris jusqu’à l’os. Plus on vieillit, plus notre passé est complexe, et plus les relations humaines demandent du travail. Ici, l’héroïne fait sa confession la plus douloureuse en plein numéro musical façon Broadway, la version âgée d’un futur marié le pousse à abandonner sa promise sur l’autel, et une fillette dont le prénom signifie L’Aube est la clef d’enjeux planétaires. Tout ceci est hautement improbable, et pourtant émouvant.

Buffy contre les vampires, c’est un peu la petite soeur que j’ai jamais eue : bordélique, courageuse, pénible, super drôle, attachante, boudeuse, combative et surtout, sincère, même quand elle fait n’importe quoi. Impressionnant, pour ce qui reste dans l’inconscient collectif un vague délire estampillé série Z !

Guillaume Banniard

(1) L’appellation série Z désigne des productions fauchées, écrites et tournées rapidement avec des moyens techniques ridicules. Le terme est un jeu de mot né d’après l’appellation série B qui, elle, désigne les films aux budget plus modestes que les séries dites A, soit les films de studio les plus prestigieux et nantis. Alors que chaque terme sert à désigner un long-métrage vis-à-vis de son budget, série Z est devenu au fil des ans un terme péjoratif dont on se sert pour désigner les films sans le sous, souvent proches du nanar.

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